16 décembre 2021 - 07:00
Morcellement des terres agricoles
Lorsque deux philosophies s’affrontent
Par: Sarah Villemaire

La mesure du projet de loi 103 modifiant certaines dispositions législatives à des fins d’allègement du fardeau administratif fait présentement écho dans le domaine de l’agriculture. Sans prétendre révolutionner l’ensemble du modèle établi, le gouvernement souhaite valoriser le morcellement des terres agricoles afin d’améliorer l’accès à la propriété des agriculteurs de la relève.

Les réactions sont nombreuses face à l’avenue de cette nouvelle disposition qui pourrait quelque peu changer le visage de l’agriculture au Québec. Bien que la plupart des acteurs se disent en faveur d’une diversité des modèles agricoles, certains invitent le gouvernement à la plus grande prudence. C’est le cas de la Fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de la Montérégie, qui croit que cette mesure pourrait favoriser l’étalement urbain.

« On s’entend pour dire que le morcellement des terres dans le but de créer une entreprise agricole est une bonne chose. Par contre, on veut que le gouvernement soit prudent dans ce genre de modification, car ça ouvre beaucoup de portes à l’automatisme et à des gens qui ne sont pas motivés à faire réellement de l’agriculture. Si le projet de l’agriculteur n’est pas assez solide et qu’il met un terme à son projet tout en s’étant construit une maison sur sa terre, on vient encourager l’étalement urbain », explique Jérémie Letellier, président de la Fédération de l’UPA de la Montérégie.

L’Union paysanne, une association bénévole qui prône l’atteinte des souverainetés alimentaires par une agriculture écologique et paysanne, croit pour sa part en la bonne foi du gouvernement pour encourager une agriculture diversifiée au Québec.

« Dans le réel, certaines suggestions de modifications à la Loi sur la protection du territoire agricole sont intéressantes, car elles ouvrent une porte qui permet un premier pas vers le morcellement des terres offrant une meilleure accessibilité à un nouveau type d’agriculture », mentionne Gaspar Lépine, administrateur à l’Union paysanne et également producteur maraîcher à Carleton-sur-Mer.

Conscient des différentes réalités en région, ce maraîcher comprend les réticences des agriculteurs face à cette démarche. « Le contexte en Montérégie est vraiment spécifique. Ce territoire est au cœur d’une agriculture industrielle où les terres valent très cher. Il y a une énorme pression à cause de la proximité des centres urbains comme Montréal », renchérit M. Lépine.

Selon le rapport annuel de gestion 2020-2021 émis par la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), la superficie de la zone agricole de la MRC des Maskoutains est de 125 724 hectares, ce qui représente 96 % de la superficie totale du territoire.

Une question de confiance

Malgré leurs visions différentes, tous les observateurs semblent d’accord pour dire que le projet de loi 103 est problématique. On déplore de part et d’autre le manque d’implication des agriculteurs dans le processus législatif. Avec les nouveaux assouplissements souhaités par le gouvernement, la Fédération de l’UPA de la Montérégie trouve malheureux que le gouvernement n’ait pas pris connaissance des enjeux liés au morcellement des terres.

« Avec ces assouplissements, on tend la main à une agriculture favorisant les projets agricoles à petite échelle ce qui est correct en soi. Par contre, il ne faut pas faire les choses de façon précipitée. Il faut éviter ce qui est en train de se passer en autorisant des projets qui ne seront plus en activité après cinq ans », souligne Jérémie Letellier.

Pour sa part, le collectif de l’Union paysanne croit au bon jugement de la CPTAQ dans la révision des dossiers. « Une fois l’intention d’un morcellement déposé, la Commission conservera quand même son rôle d’évaluer la viabilité et la pertinence d’un projet agricole. Si après quelques années le projet échoue, la terre sera malgré tout sous le décret de la Commission », mentionne Gaspar Lépine.

Un débat de société

Au-delà de l’enjeu agricole, les municipalités en territoire rural seront appelées à se pencher rapidement sur la question, selon Gaspar Lépine. « Il y a un débat de société à faire, car le développement de l’agriculture, c’est le développement de la ruralité. Il y a des enjeux liés à l’explosion du prix des terres et à l’emplacement de celles-ci. En ce moment, il y a une réalité des services publics qui ne suivent pas si l’on remplit les rangs. Les infrastructures publiques doivent suivre elles aussi et ce n’est pas ce qui est en train de se produire », conclut-il.

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