16 juillet 2020 - 14:53
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Magnifique rivière
Par: Le Courrier

Le canot a toujours été un moyen privilégié pour explorer un cours d’eau. Notre territoire québécois possède un réseau de lacs et de rivières d’une rare densité et d’une remarquable géodiversité. Les différents bassins hydrographiques ont permis aux premières nations de l’occuper, en parcourant ce formidable réseau de chemins d’eau.

De l’enfance à l’âge adulte, j’ai eu la chance de voyager en canot avec mon père sur plusieurs plans d’eau. D’abord, pour la simple balade ou la pêche sur un lac et, par la suite, pour la descente de rivières sauvages en expédition de plusieurs jours. Ce fut un grand privilège de découvrir ces territoires accessibles uniquement en canot et d’être en contact avec des rivières où l’eau est si douce. En effet, les eaux de ruissellement sur les bassins versants qui alimentent ces cours d’eau sont filtrées naturellement par un couvert forestier souvent peu ou pas exploité par l’industrie de la coupe intensive. Ces voyages en canot sur des rivières comme la Dumoine, la Coulonge, la Bonaventure, la Métabetchouane, l’Ashuapmuchouane ont été marquants pour les voyageurs, parents et amis.

Issu du passage d’une grande glaciation pas si lointaine (20 000 ans), le réseau de lacs et de rivières est les veines et les artères de notre pays. Nous avons su en tirer profit, notamment avec le développement des grands complexes hydroélectriques, pour le meilleur et pour le pire… Avec le développement technologique, plusieurs bassins hydrographiques ont été impactés par de grands barrages et réservoirs, par les grandes coupes à blanc, l’agriculture intensive, l’étalement urbain, etc.

Comme je vis à Saint-Hyacinthe, la rivière Yamaska traverse le cœur de ma ville. À quelques reprises, j’y ai mouillé mon canot, question de mieux la connaître. Au premier regard, de la rive, ce cours d’eau nous appelle par sa beauté tranquille. Son eau est d’un naturel trouble, car elle coule principalement sur le fond de l’ancienne mer de Champlain, donc sur de l’argile marine, un sédiment très fin.

Sur la photo que je joins à ce texte, elle est d’un vert caractéristique des cyanobactéries ou algues bleu vert, signe de problématiques environnementales. Celles-ci sont liées notamment au réchauffement de l’eau et aux sources de phosphore comme les engrais domestiques et agricoles. En pagayant sur la Yamaska dans la canicule de l’été, on peut voir et sentir de très près cette pollution générée par l’activité humaine : grande densité d’algues près des rives, poissons morts, odeurs nauséabondes.

Son bassin hydrographique est très vaste. Elle draine un territoire de 4800 km2 sur lequel domine la pratique de l’agriculture et de l’élevage industriels. Conséquemment, si je sors de ma ville et que je navigue vers l’amont ou vers l’aval, je me retrouve dans un paysage dominé par des monocultures de maïs génétiquement modifiés et de soja. On a détecté dans les eaux maskoutaines de 21 à 27 pesticides, selon les saisons, comme l’atrazine, interdit depuis 2004 en Europe, et le glyphosate, herbicide classé par l’OMS comme probablement cancérigène.

Notre belle Yamaska est, comme toutes les rivières de la planète, source de vie. Jusqu’en 1970, on y trouvait plus de 70 espèces de poissons. Trente ans plus tard, des études ont révélé que cette diversité est tombée à 33 espèces.

L’affluent le plus pollué du fleuve Saint-Laurent qui prend sa source au lac Brome et coule vers le nord jusqu’au lac Saint-Pierre est pourtant une rivière magnifique. Elle fait partie de notre patrimoine naturel reconnu mondialement pour la qualité unique de son réseau hydrographique. Après le retrait de la mer de Champlain, il y a 10 000 ans, jusqu’à tout récemment dans son histoire, la Yamaska a été pour l’ensemble du vivant de cette période géologique un des moteurs de ce vaste écosystème.

Souhaitons-nous d’autres possibles en matière de développement agricole, d’aménagement et d’entretien de l’espace urbain, d’aménagement des berges… pour que cette rivière, et bien d’autres, retrouve sa vitalité pour le bien-être de la nôtre.

Richard Durand, géographe et canoteur, Saint-Hyacinthe

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