Parmi les nombreux commerçants de Saint-Hyacinthe qui ont tout perdu lors du grand feu de 1876, certains de ceux-ci, qui avaient déjà bonne réputation avant l’événement, avaient avantage à se reconstruire. C’est le cas du libraire Maximilien-Aimé Kéroack.
Né le 30 avril 1839 à Saint-Charles-sur-Richelieu, Maximilien-Aimé Le Brice de Kéroack est le fils de l’instituteur Léon-Solyme et Éléonore Létourneau. Les registres du Séminaire de Saint-Hyacinthe nous démontrent qu’il y étudie seulement deux ans (1849 à 1951), mais l’enfant n’a que 10 ans à son entrée au « Collège ». En 1860, il établit son commerce au coin des rues Cascades et Sainte-Anne. La librairie Kéroack deviendra sûrement un lieu de rencontres intellectuelles, car on sait que le libraire s’implique au sein de l’Institut des artisans de Saint-Hyacinthe, un regroupement de gens de métier. Il est également un des membres fondateurs de L’Union catholique de Saint-Hyacinthe en 1865, nommé bibliothécaire de l’organisme présidé par l’avocat Honoré Mercier (futur premier ministre du Québec). Mais une autre entreprise commerciale l’occupe à compter de 1868. En association avec Pierre Bachand, Louis Delorme, Honoré Mercier, Louis Taché, Jérôme-Adolphe Chicoyne et quelques autres, il devient le promoteur du bateau à vapeur le Notre-Dame, qui sillonnera durant plus de quatre ans la rivière Yamaska de Saint-Hyacinthe à Saint-Césaire, en passant par Saint-Pie. C’est probablement grâce à cet utile moyen de transport qu’il rencontre la jeune Malvina Gauthier, qu’il épouse le 23 mai 1871 à Saint-Pie. Maximilien-Aimé a 32 ans et son épouse, fille du notaire André Gauthier et Héloïse Clothilde Fauteux, en a 19 (née le 3 mars 1852). Le mariage sera célébré avec faste, en présence du vicaire général Mgr Louis-Zéphirin Moreau. Le couple ne restera pas longtemps seul puisque durant les dix prochaines années, Malvina mettra huit enfants au monde. Le premier enfant, nommé Aimé, ne vivra que deux jours et le quatrième, Séraphin, décède à l’âge de deux mois. Il faudra attendre le huitième enfant pour avoir un autre garçon, né quelques mois avant le grand départ. En effet, cette grande famille maskoutaine fait partie de l’importante migration vers l’Ouest. En 1882, le couple Kéroack, accompagné de leurs cinq filles et un bébé, plient bagage : direction Saint-Boniface, Manitoba. Mais comment en sont-ils arrivés à cette décision? Nous soupçonnons qu’un événement « anodin » en 1874, en a été l’élément déclencheur. Dans son Histoire de Saint-Hyacinthe, écrite en 1930, Mgr Charles-Philippe Choquette raconte qu’un soir de septembre 1874, le controversé Louis Riel frappe à la porte de la demeure de Camille Lussier, beau-frère du libraire puisqu’il a épousé Marie-Anne-Solange-Domithilde Kéroack en 1864. Lussier, en collaboration avec Maximilien-Aimé Kéroack, regroupe environ une centaine de personnes dans une grande salle du bureau d’affaires de l’avocat Louis Tellier. Par la suite, en compagnie des deux beaux-frères, Louis Riel se rend au Séminaire de Saint-Hyacinthe, créant tout un émoi dont l’abbé François Tétreau témoigne dans son journal quotidien. On ne sait pas si Kéroack éprouve des difficultés financières à cette époque, qui l’auraient emmené à déménager, mais les journaux du temps témoignent que le « bloc Kéroack » est avantageusement situé face à la Banque de Saint-Hyacinthe sur la rue Cascades, à compter de 1877. Il a donc bien reconstruit son commerce au même endroit. Grâce à des articles de la Société historique de Saint-Boniface, nous avons découvert que Kéroack opère la première librairie bilingue de la région. Les affaires vont si bien qu’en 1891, il ouvre une deuxième librairie à Winnipeg, avec l’implication de ses deux filles Eugénie et Blanche, en plus de son épouse Malvina, qui a quand même eu le temps d’avoir trois autres enfants. En 1897, les deux soeurs achètent les deux librairies : Eugénie à Winnipeg et Blanche à Saint-Boniface. Maximilien-Aimé Le Brice de Kéroack décède le 3 janvier 1899 à l’aube de ses 60 ans. C’est sa veuve Malvina qui prend la relève en compagnie de sa fille Eugénie et son fils Albert. De son côté, Blanche vend ses parts à sa mère en 1904 et se tourne vers la vocation religieuse. Avec sa soeur Anna, elles fondent le monastère du Précieux-Sang à Saint-Boniface. Les deux commerces seront opérés par la famille Kéroack jusqu’à la vente à un groupe d’hommes d’affaires en 1921, à la suite du décès de Malvina. Il est remarquable de noter que les femmes Kéroack comptent parmi les rares femmes d’affaires au Manitoba au tournant du 20 e siècle.