2 avril 2020 - 14:52
Nos anges gardiens prêts à affronter la vague
Par: Martin Bourassa
L’urgentologue Robert Patenaude est l’un des piliers de l’Hôpital Honoré-Mercier de Saint-Hyacinthe. Photothèque | Le Courrier ©

L’urgentologue Robert Patenaude est l’un des piliers de l’Hôpital Honoré-Mercier de Saint-Hyacinthe. Photothèque | Le Courrier ©

Il a survécu à la leucémie au début des années 1980, à une époque où ses chances étaient bien minces, et à une collision en voilier avec une baleine en plein milieu de l’océan en 2006. Médecin et marin accompli, le Dr Robert Patenaude navigue sur une mer bien agitée ces temps-ci à l’urgence de l’Hôpital Honoré-Mercier de Saint-Hyacinthe. Il redoute la grosse vague d’hospitalisations liées à la propagation du coronavirus, la fameuse COVID-19. Entretien avec un ange gardien au front.

C’est au petit matin d’une rare journée de repos, entre deux semaines de travail particulièrement intenses, que Robert Patenaude a généreusement accepté la demande d’entrevue que nous lui avions formulée directement la veille. Une entrevue qu’il souhaitait « axée sur l’humain et le médical », selon ses exigences.

Aucun problème, il n’y a pas plus humain que Robert Patenaude. Et pour le médical, il est aussi une référence dans le domaine puisqu’il compte 33 ans de pratique, dont 25 à l’urgence du centre hospitalier maskoutain où il fait figure de doyen parmi la jeune équipe d’urgentologues. Il aura 63 ans dans quelques semaines à peine.

Celui qui comptait profiter d’une retraite partielle en juin a décidé de la repousser de trois mois. C’est que, voyez-vous, en bon capitaine, il n’a pas l’intention de quitter le navire en pleine tourmente et encore moins de le regarder couler, lui qui n’a jamais perdu un bateau pendant toutes les années passées à faire de la voile et des courses transatlantiques en haute mer. Il a donc recommencé à prendre son tour régulier sur le quart de nuit à l’urgence, après 10 ans de sursis. Il faut dire que les ressources médicales ont été doublées la nuit, COVID-19 oblige.

Urgence chaude; urgence froide

De nuit, ils sont maintenant deux urgentologues à se partager les patients réguliers et suspects, ces derniers obligeant les médecins à respecter un strict protocole. Fort heureusement, le triage a été resserré à l’admission et le taux d’occupation à l’urgence est sous contrôle et très bas. Le message de ne plus se présenter à l’urgence pour des cas mineurs a été bien reçu des Maskoutains.

Notre centre hospitalier a d’ailleurs récemment modifié ses pratiques à l’urgence. Un abri placé à l’extérieur de l’établissement fait maintenant office de prétriage. Selon la raison qui les amène à consulter, les malades sont séparés en deux groupes et dirigés vers l’urgence chaude et l’urgence froide où un deuxième triage de classement des priorités est ensuite effectué.

L’urgence chaude reçoit tous les cas pour lesquels on redoute une infection virale, dont les possibles cas de COVID-19; la froide sert pour tous les cas urgents habituels, problèmes cardiaques, fractures, accidents, etc.

L’idée est d’éviter que des porteurs de virus côtoient les malades dits réguliers.

« C’est tout un défi organisationnel et opérationnel de réussir à maintenir et à faire rouler deux urgences. À un médecin la nuit, ce serait impossible. Encore là, il faut faire preuve d’agilité et se préparer à toutes les situations. C’est très exigeant. »

Fait à signaler, le personnel médical au triage se réserve aussi le droit de diriger les cas jugés mineurs vers les cliniques de groupes de médecine de famille (GMF). Ce n’est pas une simple suggestion, mais une obligation pour diminuer à tout prix la pression sur l’urgence. « Si on reçoit une dizaine de cas, ça va aller, mais 50, on sera pu capables », ajoute le Dr Patenaude pour motiver cette décision qu’il salue et qui aurait dû être appliquée depuis des années déjà dans le réseau de la santé.

À ce propos, il mentionne que la crise actuelle bouscule bien des habitudes et des façons de travailler. Il faut aller au plus pressant et éteindre des incendies, donc l’écoute compatissante et les longues explications n’ont plus trop leur place dans les relations médecins/patients. « Ça va vite et nous devons faire ça court pour nous protéger. »

Urgence : des troupes mobilisées

De façon générale, Robert Patenaude estime que les choses se passent bien jusqu’ici à l’urgence comme dans l’ensemble de « son » hôpital.

Il sent la jeune équipe d’urgentologues – un groupe auquel se sont greffées cinq nouvelles ressources au cours de la dernière année – bien préparée à faire face au défi qui s’annonce. Ils sont trois médecins de jour, trois de soir, deux de nuit et un de garde sur la ligne de front.

Autour d’eux, un fort et impressionnant bataillon de spécialistes, de professionnels, d’infirmières et de préposés serrent les rangs. « C’est très occupé, mais on ne lâche pas. Les spécialistes, les infirmières et tout le personnel travaillent en équipe, c’est beau de voir ça. Je suis vraiment fier de mon hôpital, il n’y a pas de chicanes à l’interne. L’équipe est tricotée serrée et tout le monde donne son maximum. Depuis dix jours, on se prépare à la vague qui s’en vient. On reçoit de plus en plus de patients. Nous vivons le ressac du congé scolaire et des voyageurs qui reviennent. Mais on sent que la grosse vague s’en vient et nous n’y échapperons pas. Il faudra être prêts et nous le serons. »

Le travail se déroule pourtant dans des conditions difficiles, pour ne pas dire précaires. La vétusté et l’exiguïté des installations obligent le personnel à beaucoup d’ingéniosité. Les travaux d’agrandissement de la nouvelle urgence pour laquelle s’est battu et a travaillé le Dr Patenaude pendant 12 ans débutent à peine. « Les conditions ne sont pas toujours idéales, mais nous avons appris à composer avec ça depuis longtemps. On a eu à gérer d’autres crises dans ces installations par le passé, que ce soit le verglas ou encore le C. difficile, mais rien qui s’approche de ce qui s’en vient. Nous essayons de nous protéger le mieux possible et de veiller les uns sur les autres. »

Bas les masques N95

Justement, y a-t-il suffisamment d’équipements de protection? Il faut savoir qu’au cours des derniers jours, LE COURRIER a eu vent d’informations contradictoires sur la situation du matériel, dont les fameux masques de protection N95. Si son port était obligatoire, il n’y a pas si longtemps avant d’aborder chaque cas suspect, on aurait modifié cette pratique récemment au profit du simple masque chirurgical, ce qui a semé une certaine confusion, pour ne pas dire une certaine panique chez plusieurs.

« Nous avons tout ce dont nous avons besoin, assure le Dr Patenaude. Pour l’instant, on ne manque de rien. Cela dit, il faut gérer serré dès maintenant. Les protocoles de l’équipe d’infection changent régulièrement et il faut s’ajuster. Quand on fait du dépistage, un masque ordinaire, des gants et la visière font le travail. Le personnel a un peu de difficulté à s’y retrouver, mais on ne manque pas de N95. On les garde pour les cas de haut niveau technique comme pour les intubations par exemple. »

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