Cette conclusion malheureuse survient au terme de quelques années particulièrement difficiles, avoue d’emblée le principal intéressé en entrevue au COURRIER. Les bilans étaient écrits à l’encre rouge depuis trop longtemps. « Ce n’est pas une faillite, précise tout de go Guy Duhaime, je vais juste arrêter de perdre de l’argent. À part la première année devant le centre des arts où je n’ai presque rien perdu, après ça, j’ai perdu pas mal d’argent. J’aurais souhaité une fermeture un peu moins brutale, à l’image du restaurant L’Empanaché à l’automne, mais ce n’était plus possible de continuer jusqu’à la fin du bail actuel le 30 juin. Mon chef est tombé malade et le sous-chef a décidé de quitter de lui-même. J’ai dû me rendre à l’évidence. Par respect pour ma clientèle, il était préférable de fermer les livres. On vide les frigos et on va donner toute cette bonne nourriture à la Moisson maskoutaine, c’est un mal pour un bien. »
De fidèle client, M. Duhaime était devenu associé de l’ancienne administration du Pépé au milieu des années 2000 et jusqu’à la fermeture du restaurant jadis situé au coin des rues Girouard et Bourdages en 2015. Cette même année, l’homme d’affaires derrière Les Services financiers Guy Duhaime avait décidé de se lancer seul et tête première dans la restauration en pilotant la relance du Pépé dans un lieu moins vaste que le précédent et avantageusement situé face au Centre des arts Juliette-Lassonde.
Avec ses quelque 130 places assises et sa grande terrasse permettant d’en ajouter 80 pendant la belle saison, le Pépé a tenté tant bien que mal de s’imposer.
« Les soirs de spectacle, c’était bon, on refusait souvent du monde, mais le reste du temps, c’était mort, surtout depuis le départ des professionnels et les travaux interminables au pont Bouchard et au Marché. Ajoutez à cela les problèmes de stationnement, les horodateurs, la concurrence des restaurants près de l’autoroute, alors la coupe est pleine. La restauration n’est pas un domaine facile. Les marges bénéficiaires ne sont pas grosses, surtout pour un restaurant indépendant qui n’a pas le pouvoir d’achat des bannières. Avec en plus le rabais de 10 % consenti à la clientèle du centre des arts les soirs de spectacle, il ne reste pas grand-chose au bout de la ligne. Il suffit qu’une grosse réservation ne se pointe pas un soir donné pour qu’on se retrouve dans le trouble. Avec un restaurant de 40 places, ça aurait pu fonctionner, mais rentabiliser le modèle actuel n’est pas possible. J’ai tout essayé… »
Il ne pense pas être le seul restaurateur maskoutain à avoir peiné à joindre les deux bouts ces dernières années. « Il doit y en avoir d’autres qui ne font pas leurs frais. Je ne pense pas être dans une classe à part. Mais j’ai aussi fait des gaffes en cours de route. J’ai voulu moderniser la carte en y greffant une cuisine parfois plus exotique, ce qui nous a éloignés de l’essence même du Pépé. J’ai aussi eu des problèmes aux cuisines et on a coupé dans les heures d’ouverture. Les habitués ont eu de la misère à s’y retrouver. »
Trop de restaurants?
Pense-t-il qu’il y a trop de restaurants à Saint-Hyacinthe compte tenu du nombre limité de bouches à nourrir? « Oui, il y a peut-être trop de restaurants, dira-t-il. La population de Saint-Hyacinthe n’augmente pas tellement d’une année à l’autre et les gens délaissent le centre-ville pour différentes raisons. »
Il est quand même assez ironique de constater que le restaurant le mieux placé pour profiter de la manne de spectateurs du centre des arts en vienne à devoir fermer ses portes. Plusieurs restaurateurs se sont en effet succédé à cet endroit au fil des ans, sans trop de succès. « Je suis peut-être le sixième ou le septième restaurateur à être passé par là et je serai fort probablement le dernier. Je pense que le locateur [le Groupe Robin] commence, lui aussi, à être tanné. Ce sera à lui de prendre ses décisions. »
Et pendant que les autorités municipales jonglent avec des mesures d’aide ou d’accompagnement à mettre en place pour les commerçants et les restaurateurs maskoutains, Guy Duhaime constate qu’elles arriveront trop tard pour lui.
Il encourage toutefois la Ville de Saint-Hyacinthe à multiplier les initiatives porteuses pour attirer du monde au centre-ville et y accroître la mixité sociale.
« Il n’y a pas 100 000 solutions, ça prend du monde au centre-ville, des gens qui y résident et y travaillent, des gens qui marchent et se promènent sur les trottoirs. Il faut rendre le centre-ville attrayant avec du stationnement gratuit à proximité. La nouvelle promenade Gérard-Côté, il faut la faire. Même chose avec les projets de Groupe Sélection et de la Place Frontenac. Nous en avons besoin. Ça prend du monde plus que ça! »
En ce qui concerne la douzaine d’employés qui écopent de cette fermeture, M. Duhaime ne s’inquiète pas trop pour eux compte tenu des besoins criants de main-d’œuvre dans ce domaine. Il signale en passant qu’il remboursera pendant un certain temps les clients qui pourraient avoir en leur possession des chèques-cadeaux de son établissement.
Pour sa part, il se concentrera désormais à temps plein sur ses activités reliées au monde des affaires. « J’ai d’autres projets, mais pas en restauration. C’est terminé. »