15 août 2024 - 03:00
Étude sur la filière de biométhanisation au Québec
Plus de questions que de réponses
Par: Sarah-Eve Charland
Une étude de l’UQAM s’est penchée sur le potentiel de production de gaz naturel renouvelable au Québec. Photothèque | Le Courrier ©

Une étude de l’UQAM s’est penchée sur le potentiel de production de gaz naturel renouvelable au Québec. Photothèque | Le Courrier ©

Est-ce que les investissements massifs dans la filière de biométhanisation au Québec sont justifiés? Les connaissances scientifiques sont loin d’être suffisantes pour répondre à cette question, estime le professeur au Département de sociologie et président du comité scientifique de l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Éric Pineault.

Mandaté par la Table énergie du Front commun pour la transition énergétique, M. Pineault a supervisé une recherche sur le déploiement de la filière de la biométhanisation. Il ne s’est toutefois pas penché spécifiquement sur des cas concrets, comme l’usine de biométhanisation de Saint-Hyacinthe. Il a fondé ses conclusions sur une revue de littérature scientifique, des entretiens avec des spécialistes et une analyse des études de potentiel publiées.

« À aucun moment, on ne met en doute l’utilité de la biométhanisation comme stratégie de gestion de certains déchets. C’est vraiment une solution intéressante. Ce qu’on met en doute, et ça n’a rien à voir avec ce qui se passe à Saint-Hyacinthe, ce sont les chiffres qui ont circulé, surtout par les gens d’Énergir, au sujet du potentiel de production énergétique. C’est ce qui a déclenché la recherche. C’est ce qu’on essaie de comprendre », précise le chercheur Éric Pineault.

Maintenant qu’il a clarifié cet aspect, il dit plutôt mettre en doute l’image « verte » du gaz naturel renouvelable. Selon ce qu’il a pu observer, la littérature scientifique ne justifie pas les investissements massifs pour construire des usines de biométhanisation. Le développement de cette filière et ses conséquences climatiques et écologiques n’ont fait l’objet ni d’une évaluation environnementale ni d’un débat public, conclut le rapport de recherche.

Parmi les trois études de potentiel existantes, deux ont été réalisées par Énergir et ont tendance à surestimer les quantités de biomasses disponibles. Le distributeur de gaz compte en grande partie sur le potentiel de rendement de l’industrie forestière, mais ces résidus sont déjà utilisés pour d’autres usages plus rentables ou plus écologiques.

« Quelle que soit la source de biomasse analysée, nous constatons que les volumes réellement disponibles pour la production de gaz naturel renouvelable n’ont pas été évalués et sont beaucoup plus faibles quand on tient compte de critères économiques et environnementaux plus complets. […] La politique de développement du gaz naturel renouvelable est faite à partir des intérêts d’un distributeur de gaz. Québec n’a pas à adopter la vision d’Énergir. L’erreur est là. On s’invente des sources de biomasse qu’on n’a pas. Il n’y a pas de vrai débat », estime-t-il.

L’entreprise Énergir distribue actuellement 97 % du gaz naturel consommé au Québec. En septembre 2022, le gaz naturel distribué par Énergir au Québec était à 99,4 % d’origine fossile. Le gaz naturel renouvelable représentait 0,6 % des volumes. Le gaz renouvelable est donc dilué dans le réseau. L’entreprise s’est engagée à atteindre une proportion de 10 % de gaz naturel renouvelable en 2030. En ce moment, elle doit importer l’essentiel de son gaz naturel renouvelable des États-Unis parce que les sources sont limitées au Québec.

M. Pineault recommande, entre autres, la réalisation d’études de potentiel et environnementales indépendantes. Plusieurs questions demeurent en suspens. « Comme la hiérarchie des usages, est-ce que la consommation énergétique issue de l’industrie agroalimentaire est le meilleur usage qu’on peut faire? Ou bien est-ce qu’il y aurait des usages qui demanderaient moins de consommation énergétique? » se demande-t-il.

C’est l’un des aspects qui ressort du rapport de recherche. Le compostage pourrait s’avérer une meilleure option pour les résidus agroalimentaires, selon la littérature scientifique.

« Est-ce qu’on devrait plutôt réduire le volume de production alimentaire? En mettant en place ces immenses infrastructures de biométhanisation, est-ce qu’on ne serait pas en train de décourager la mise en place d’autres solutions pour réduire le gaspillage? La solution ne serait-elle pas d’agir en amont? »

Nature Energy et Énergir ont annoncé leur volonté de construire une dizaine de complexes de production de gaz naturel renouvelable. Le premier projet se concrétisera à Farnham. « Ça demeure que le recours à la biométhanisation est une solution importante, mais ce n’est pas une solution magique. La ruée pour investir massivement semble aller trop vite. Il faudrait commencer par avoir une stratégie basée sur des études indépendantes », conclut-il.

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