7 mai 2020 - 14:21
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Regarder sous le pansement
Par: Le Courrier
Je suis un prof, j’aime ma job, je crois qu’elle est importante. Au début, la consigne était que nous étions en vacances. Selon les dires du ministre, je ne pouvais entrer en contact avec mes élèves. Depuis que j’ai eu le OK, je leur ai proposé des activités. Je suis certain que la grosse majorité des profs du Québec l’ont aussi fait. L’enseignement à distance, j’aurais été prêt assez rapidement. Malheureusement, il n’y avait rien d’organisé de la part du Ministère, aucune consigne claire.

Quelques semaines plus tard, la santé publique du Québec nous annonce que nous pouvons aspirer à ce que, dans le meilleur des cas, les écoles primaires puissent rouvrir dans 10-12 jours. OK, je ne suis pas un expert. Ils le sont! On les a glorifiés quand ils ont tout fermé. Là, tout d’un coup, ils diraient de la bullshit? Ça fait six semaines que j’enseigne à mes gars à se laver les mains pour n’importe quelle raison. Au point où la phrase « lave tes mains » est devenue aussi présente que « SVP » ou « merci » dans notre maison. Vont-ils retourner à l’école le 11 mai? Certainement!

J’aime bien mieux être exposé maintenant. Tsé, au moment où les hôpitaux sont top ready! Ce dont j’ai peur, c’est que la courbe redescende, que nous descendions notre garde et que là : oups…

Le confinement, les mesures drastiques qui ont été prises dès le départ ont été un enseignement. Jamais je n’aurais pris tout cela au sérieux si ça n’avait pas été aussi brutal. Maintenant, je comprends. J’ose espérer que la majorité de la population comprend aussi. À Saint-Hyacinthe, ça fait une semaine que le nombre de cas est dans les environs de 57. J’ose croire que tout le monde dans l’entourage de ces 57 personnes est sensibilisé et qu’ils resteront chez eux. Que les écoles ouvrent ou pas!

Aplatir la courbe, ça veut dire l’étaler dans le temps. On ne peut pas vaincre le virus. On est pris avec. Le but a toujours été de ne pas dépasser les capacités du système hospitalier. Nous avons malheureusement échappé la situation avec nos aînés. Le loup a trouvé la porte de la bergerie. Nous devons tout faire pour régulariser cette situation. Je ne crois pas que de garder le Québec fermé aidera.

Je crois plutôt que nous devrons apprendre à vivre avec cette épée de Damoclès. C’est un nouveau chapitre. C’est une nouvelle façon de vivre. La planète nous parle. Tous les experts s’entendent pour dire que c’est la première d’une série. Nous pouvons faire l’autruche et nous cacher la tête dans le sable. Je crois qu’il est mieux de prendre le taureau par les cornes et l’affronter.

La peur est légitime. Attendre plus longtemps, est-ce mieux? Est-ce que les services de garde d’urgence pour nos Anges gardiens ont généré beaucoup de cas supplémentaires? Y a-t-il eu de la contamination causée par cela?

Je me sens comme un extra-terrestre, car je pense que si des experts me disent que c’est OK, je les crois plus que la société civile apeurée. Mes garçons feront attention et se souviendront que, depuis six semaines, leur père est hardcore sur le lavage des mains. La situation n’est certes pas parfaite. Par contre, j’ai bien plus peur de la deuxième vague de l’automne si nous n’ouvrons pas le robinet tranquillement pas vite.

C’est comme une plaie ouverte. On met de la pression pour empêcher le sang de sortir. À un certain moment, on relâche tout doucement pour voir. Si ça ne saigne plus, on désinfecte et on continue à vivre en faisant attention. Si le sang coule encore, on réapplique de la pression, on est patient. Attendre des mois avec la main sur le pansement, sans regarder, ne nous dira pas si l’hémorragie est arrêtée. Il faudra un jour voir si l’on peut vivre avec.

Jean-Simon Carrier, Saint-Hyacinthe

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