Aux commandes du restaurant qui a pignon sur rue sur le boulevard Laurier et qui est facilement identifiable par la caricature format géant près de la devanture, Stéphane et Chantal, la nièce de Claude, ont décidé qu’ils en avaient assez de ne plus avoir de vie. À 58 et 54 ans, ils vont donc s’offrir une retraite méritée et savamment planifiée.
« Ça reste une décision profondément émotive, mais c’est le plan depuis le jour 1, ont raconté Stéphane et Chantal au COURRIER. Nous souhaitions prendre notre retraite le plus tôt possible et c’est ce que nous allons nous permettre après avoir consacré les 23 dernières années de notre vie à cette cantine. Nous y avons mis tout notre cœur et nous allons terminer ça avec cœur, avec nos employés dans un beau gros party. Cette cantine représente 45 ans de succès et il est temps pour nous de passer à autre chose. »
Et la coupure sera radicale. Puisque la cantine a été familiale du début à la fin, il n’était pas question de la céder à un étranger et risquer de la voir décliner.
« Cette cantine fait partie de nous, alors nous aimons mieux la fermeture définitive à l’idée qu’elle tombe entre de mauvaises mains, des gens qui n’auraient pas eu les mêmes standards de qualité. Nous ne voulions pas passer les 30 prochaines années à nous faire dire que notre cantine a perdu de son lustre. »
Si les deux grands garçons du couple avaient souhaité prendre la relève, il aurait pu en être autrement, mais ils ont leurs propres ambitions. « Il y a cinq ans, nous aurions pu l’envisager [céder la cantine aux enfants], mais il aurait fallu que les deux soient intéressés. Ce n’est pas arrivé et c’est tant mieux. C’est tellement prenant. Nous travaillons tous les deux pratiquement sept jours sur sept, sans jamais prendre de réelles vacances. On a mis la famille, les amis et les loisirs de côté, alors il est temps de penser à nous », résume le couple qui est ensemble depuis 33 ans.
Et n’allez surtout pas croire qu’ils sont victimes de la concurrence. Ce n’est pas l’ouverture d’un McDonald’s et d’une cantine La Fringale à Douville qui a précipité leur décision, mais davantage le contexte économique actuel. « Le McDo a eu une influence négative le midi pendant une semaine. Une fois l’effet de nouveauté passé, c’est revenu comme avant. Ici, on prend soin de nos clients. On a créé des liens, des habitudes. Et nos clients ont toujours été fidèles, encore davantage pendant la pandémie. »
Lucides, Stéphane Camiré et Chantal Lemieux croient cependant que les petites cantines indépendantes comme la leur sont une espèce en voie d’extinction.
« Tout le monde est en affaires pour faire de l’argent et là, c’est moins payant, reconnaît Stéphane Camiré. Nous n’avons pas la chance de bénéficier d’un gros pouvoir d’achat ni d’économies d’échelle. Chaque hausse, nous devons pratiquement l’absorber au complet, que ce soit le coût des denrées, le coût des plats écologiques et les hausses de salaire. On n’a pas le choix de suivre. Comme nous n’avons jamais voulu sacrifier la qualité des produits, notre modèle d’affaires devient intenable. Il y a des limites à ce que les gens sont prêts à payer pour des hot-dogs ou de la poutine. C’est la triste réalité. »
On s’en doute, l’annonce de la fermeture prochaine s’est propagée comme une véritable traînée de poudre. « C’est fou et on se rend compte que tout cela est plus grand que nous. Tout le monde a une histoire avec Jos! Il s’est formé des couples chez Jos, on a vu des familles passer et grandir. Ces témoignages font chaud au cœur! »
Plusieurs se demandent ce qu’il adviendra de l’affiche emblématique de la cantine Chez Jos. Même les principaux intéressés ne le savent pas encore et se disent ouverts à toutes les propositions. « Je compte l’enlever bientôt pour que les gens comprennent que la cantine ferme ses portes pour de bon. Pour en faire quoi? Ça reste à voir. Des gens voudraient qu’elle soit récupérée et qu’elle demeure dans l’espace public du quartier. Tout est sur la table pour l’instant, on verra. »
Il faudra attendre encore un peu pour savoir ce qu’il adviendra de l’emplacement commercial une fois que la transaction aura été notariée au début décembre. Mais il est acquis que le prochain propriétaire, un Maskoutain, n’en fera pas un restaurant. Il compte agrandir, moderniser les lieux et changer la vocation.
Quant aux propriétaires actuels, ils rêvent maintenant de parcourir le monde en véhicule récréatif, de vacances dans le Sud et de golf. La suite dépendra de leurs envies respectives. Mais ils ne souhaitent plus avoir d’obligations… ni de restaurant!