« Chirurgies d’horreur », « wokes fanatisés », « conformité technocratique », « wokisme ravageur », « attitude totalitaire, qui entend sacrifier les nouvelles générations sur l’autel de l’inclusion et de la diversité », etc. Certaines personnes semblent croire que l’utilisation de formules sensationnalistes aura le double effet de convaincre son lecteur et de montrer qu’ils détiennent quelque petite science. Ne s’improvise malheureusement pas un Arthur Buies quiconque le souhaite.
Cela dit, si par « wokisme », nous entendons sa définition première, soit « toutes personnes sensibles aux injustices sociales, qui luttent contre la discrimination et les inégalités » (dictionnaire Antidote), des progressistes sensibles notamment sur les questions de la discrimination liée au genre, alors je ne vois pas en quoi l’administration de l’école Casavant devrait avoir honte pour ses initiatives en matière d’application du programme du ministère. Je n’affirme pas être en accord avec l’entièreté des décisions prises par celui-ci. En ce qui a trait à la « fonction publique colonisée par des wokes fanatisés », je pense que M. Lorange et moi-même ne vivons pas dans la même société si mon interlocuteur entend caractériser notre administration publique et le gouvernement de M. Legault par ce terme. Mais là n’est pas le sujet.
Il faut bien être déconnecté de la pratique de l’enseignement au secondaire pour considérer que le cours d’éducation à la sexualité refuse de se tenir au plus près des enjeux de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres. À quoi s’attend M. Lorange? Que nous pouvons simplement enseigner à nos élèves que les garçons naissent avec un pénis et les filles avec un vagin, point à la ligne, « et que les abeilles, les fleurs, les saisons printanières, les lois de la Nature vous savez… », tout cela dans le meilleur des mondes?
Les théories du genre ne sont pas nées de la dernière pluie et M. Lorange le sait très bien. Rappelons aux lectrices et aux lecteurs qu’un ouvrage marquant intitulé Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity, de Judith Butler, date de 1990. Butler venait elle-même s’appuyer sur un important travail en amont effectué par les études féministes. Je dirais qu’il faut saluer la décision de l’école Casavant de faire preuve d’ouverture vis-à-vis des enjeux de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres. Il est louable qu’une administration décide de ne pas faire fi des questions portées par de nombreuses personnes dans nos sociétés et permette à leurs enseignantes et enseignants d’amener la discussion sur des théories qui ont déjà plus de trente ans d’existence dans les sciences humaines et sociales.
À l’heure des réseaux sociaux, je crois que M. Lorange sait très bien que si ce n’est pas l’enseignante ou l’enseignant qui aborde la discussion dans le cadre d’un cours sur l’identité et la sexualité, ce sera l’élève qui posera des questions et engagera la discussion. En rien, il ne s’agirait de protéger l’adolescente ou l’adolescent, qui est en quête de son bien-être, « de faire comme si » cette réalité n’était pas aujourd’hui possible. Il est faux de dire qu’il s’agit d’une idéologie totalitaire là même où la raison d’être de son développement fut la subversion de l’hétéronormativité.
Ce serait également une faute de jugement et avoir une pensée étroite d’affirmer que le questionnement n’est pas valable. Il faut être fort éloigné des sensibilités et des discours légitimes de la communauté LGBTQIA2SP+ (en espérant que M. Lorange n’ait pas peur aussi des « ravages » de cet acronyme), en particulier des personnes pour qui le changement de genre fut une délivrance et une affirmation de leur identité, pour ne s’en tenir qu’aux exemples de « détransition » et aux conséquences qui sont certes navrantes. Le problème se trouve d’abord au niveau des mesures entourant l’éducation et nous avons bien des exemples chez nos voisins du sud où certains États décidèrent récemment de bannir de leurs bibliothèques des ouvrages de fiction et de non-fiction sur le sujet de la diversité des genres.
C’est parce que nous ne sommes pas encore complètement « une bonne société américanisée » que nous avons la chance, au Québec, que notre ministère d’enseignement – malgré toutes les tares que nous pouvons lui signifier – permette qu’au sein des écoles, les enseignantes et les enseignants abordent la discussion, ne prétendant certainement pas « réinventer le monde », comme le dit M. Lorange, mais seulement l’améliorer.
Seule une éducation ouverte, qui aura permis dès les premières années de la puberté de l’élève d’approfondir de manière appropriée le sujet de la diversité sexuelle et du genre, permettra au jeune individu de se définir en toute intégrité et dans le respect d’elle-même ou de lui-même.
En terminant, j’encourage quiconque croyant avoir l’intérêt à débattre des politiques culturelles de notre Centre de services scolaire de s’impliquer dans le conseil d’administration lorsqu’il y a des ouvertures de postes, de même que de participer aux rencontres publiques dont le calendrier est disponible.
Par ailleurs, rappelons qu’à Saint- Hyacinthe, nous avons l’organisme communautaire le JAG qui, depuis de nombreuses années, s’adresse à toute personne touchée de près ou de loin par la diversité affective, sexuelle, de genre, ou qui est en questionnement. Par chance, des hommes, des femmes, des personnes non binaires, des queers, des trans, des bispirituels, des asexuels ou des pansexuels défendent courageusement leur droit à leur identité et montrent que l’espoir est permis de mettre un jour fin aux normes des pseudo-moralistes qui ne saisissent pas que « la propagande toxique » qu’ils dénoncent émane de leur propre discours.
Philippe Girard, Saint-Hyacinthe