Dans le présent article, Léo Bibeau rappelle ses liens et ceux de sa famille avec la Compagnie Penman, manufacturière de produits textiles à Saint-Hyacinthe de 1903 à 1982.
La famille Bibeau et la Penman
« On disait, dans le temps, que la Compagnie Penman était la maison des pauvres; mais, à la suite d’une enquête, on a remarqué que les employés de la Compagnie étaient propriétaires de leur maison. Le type qui allait travailler, son premier but était d’économiser le plus d’argent possible pour se bâtir. Dans ce temps-là, quand on se bâtissait, c’est parce qu’on avait plus de la moitié de l’argent. Il n’était pas question d’hypothèque comme aujourd’hui. On avait assez d’argent pour se bâtir ou pour acheter une propriété à rénover.
« Mon oncle qui était échevin s’est occupé de plusieurs choses à Saint-Hyacinthe. Il est arrivé ici en 1917 et s’est marié avec la soeur de mon père. C’est lui qui, en arrivant à la Penman et parce qu’il avait fait des études assez avancées, a pu bâtir derrière l’usine le barrage qui est encore là aujourd’hui. C’était en 1917 ou 1918. Avant, il y avait un barrage en bois qui était entre 70 et 100 pieds en amont. On peut encore le voir lorsque l’eau vient assez basse en été. Mon oncle s’occupait de la maintenance et de l’ingénierie. Après, c’est mon père qui a pris la place de mon oncle et c’est moi qui a pris la place de mon père à sa retraite. Depuis 1917 jusqu’en 1977, c’est un Bibeau qui a été à l’entretien et à l’ingénierie de la Penman. »Puis, M. Bibeau décrit certaines opérations qui étaient effectuées par les employés de la Compagnie Penman. « Dans ce temps-là, à la Compagnie Penman on achetait des vieux vêtements de laine. On avait la machinerie nécessaire pour les déchiqueter et faire des fils et refaire des bas de laine. Des bas de moindre qualité étaient faits avec le shoddy (tissu de récupération). Il y avait un homme qui était assis dans un coin qu’on appelait le trieur de shoddy : ce trieur avait un couteau pour enlever tous les boutons et les mettre de côté. Il faisait cela à la journée longue. Dans ce temps-là, on récupérait tout. Un type était heureux dans sa position, même s’il faisait juste couper des boutons. Aussi, il choisissait les couleurs : un gilet gris s’en allait dans les gris et un gilet rouge s’en allait dans le rouge pour ne pas avoir à les reteindre. Il pouvait faire aussi un « mix » pour fabriquer des bas de deux couleurs. En 1933, il y avait 1 129 employés à la Compagnie. Mon père y était contremaître et mon oncle était surintendant. »
« Je gagnais 12 cents l’heure à l’époque »
« J’avais 24 ans et j’étais le plus vieux de la famille. Avant de me marier, je restais à la maison et je payais une petite pension. Mon père me demandait cinq dollars par semaine. Je travaillais à la Compagnie Penman de 70 à 72 heures par semaine et je gagnais douze cents l’heure. À l’entretien, il fallait travailler le samedi et parfois le dimanche. On pouvait nous appeler en pleine nuit. On faisait notre électricité nous-mêmes avec des génératrices et, quand ça brisait, il fallait arrêter tout le moulin. Parfois, il fallait travailler une partie de la nuit. On était payé temps et demi après 55 heures d’ouvrage. »
Les grèves à la Penman
« Au début à la Compagnie Penman, j’ai été vice-président de mon syndicat et j’ai été en charge de la grève de 1955. M. James était un gérant qui a marqué la Compagnie parce qu’il était extrêmement incompétent. Il cachait son incompétence dans son ironie en disant que c’était lui le boss. La grève a duré trois mois. Les conditions de travail ont changé et M. James a aussi été changé. Il a été envoyé à Paris, Ontario.
« Mais ce que j’ai trouvé le plus dur dans ma vie d’ouvrier, ce fut la fameuse grève de 1974 qui a duré onze mois et qui a été un peu sauvage. Elle avait été voulue par des gens de Montréal. Après deux mois de grève, la Compagnie a décidé qu’elle ne reprendrait plus comme avant et de mettre à pied tous les contremaîtres sauf les surintendants. Si bien que, tout le dernier mois, j’étais le seul responsable des bâtisses parce que tous les autres avaient démissionné. On a brisé toutes les vitres de la façade et mis le feu deux fois. J’étais obligé d’être là et de passer à travers les lignes de piquetage parfois avec l’aide de la police. On a lancé des oeufs avec de la peinture sur ma maison. Elle a été extrêmement dure cette grève-là. »