4 mai 2023 - 07:00
Cégep de Saint-Hyacinthe
Tentative de putsch avortée en 2021, selon le président du CA
Par: Sarah-Eve Charland
Plusieurs insatisfactions à l’endroit du directeur général du Cégep de Saint-Hyacinthe, Emmanuel Montini, se retrouvent dans un rapport externe commandé par l’Association des cadres du Cégep en mai 2021. Photothèque | Le Courrier ©

Plusieurs insatisfactions à l’endroit du directeur général du Cégep de Saint-Hyacinthe, Emmanuel Montini, se retrouvent dans un rapport externe commandé par l’Association des cadres du Cégep en mai 2021. Photothèque | Le Courrier ©

Le climat malsain qui envenime les relations entre les professeurs et le directeur général du Cégep de Saint-Hyacinthe, Emmanuel Montini, ne serait que la pointe de l’iceberg.

La grogne et l’insatisfaction étaient encore plus marquées il y a deux ans parmi les cadres. Exaspérés, ils avaient dénoncé, dans un rapport dont LE COURRIER a obtenu copie, des relations de travail teintées par des cris, des insultes et même des menaces.

C’est la section locale de l’Association des cadres des collèges du Québec (ACCQ) qui avait mandaté la firme externe Le Cabinet RH, spécialisée en prévention, en gestion et en règlement de différends en milieu de travail, afin de procéder à un diagnostic du climat de travail. Son mandat consistait dans un premier temps à recueillir les perceptions des participants.

Même si les allégations recueillies au cours de cet exercice n’ont jamais fait l’objet d’enquête ni de vérifications plus poussées, ce rapport produit en mai 2021 n’est pas tendre à l’endroit d’Emmanuel Montini. Selon les témoignages anonymes recueillis par la firme, il imposerait un climat de peur, prononcerait des menaces, participerait à des jeux de pouvoir, aux commérages et alimenterait les conflits. Toujours selon le rapport de la firme, certains cadres lui reprochaient de lancer des accusations ou des critiques devant les autres cadres.

M. Montini tiendrait aussi des propos violents et menaçants, selon les allégations contenues dans le rapport. « Je te battrais avec une batte de baseball » ou encore « Moi, je vais directement à la jugulaire », peut-on y lire.

Le document présente par ailleurs des éléments positifs et certaines forces du directeur général. On le dit très travaillant, possédant une grande intelligence et des compétences en réseautage, mais on le décrit aussi comme une personne froide, distante et rigide.

Des faussetés

Le président du conseil d’administration du collège maskoutain, Augustin Brais, discrédite tout autant la méthodologie que l’ensemble du rapport. « Il y a beaucoup de faussetés. J’avais d’ailleurs oublié ce rapport parce que c’était un épisode un peu sombre. Ce n’est pas un rapport qui a été mené de façon professionnelle [pour ce qui est de la méthodologie]. C’est ce qu’on appelle dans le milieu politique une tentative de putsch [coup d’État]. »

En ce qui concerne le climat actuel entre les cadres et la direction générale, il suggère qu’il n’y a rien de particulier à en dire. « Il y a une bonne communication entre M. Montini, son comité exécutif, le conseil d’administration et moi-même. On se parle. On est au courant. Certains dramatisent beaucoup les choses, mais en général, le climat est bon. »

Le Cabinet RH est formé de plusieurs avocats, médiateurs et doctorants en psychologie organisationnelle. La fondatrice de la firme, Audrey Murray, a accepté de nous parler de la démarche qui fut réalisée au Cégep de Saint-Hyacinthe, sans toutefois aborder le contenu du document. Elle précise qu’un diagnostic de climat de travail est basé sur les perceptions rapportées notamment par le biais d’un questionnaire en ligne et de rencontres individuelles.

« On fait un rapport à partir de données convergentes. L’information qu’on recueille dans le rapport n’est pas la perception d’une seule personne. Ce qu’il est important de mentionner, c’est que ce ne sont pas des faits vérifiés. […] C’est une démarche qui est anonyme. La source des informations, ce sont les gens qui nous parlent », ajoute-t-elle.

Ce rapport a été présenté au printemps 2021 au président du conseil d’administration de l’époque, René Vincelette. Mais juste avant de soumettre le document au conseil d’administration, il a préféré démissionner. Joint par LE COURRIER en début de semaine, M. Vincelette a juré que ce rapport n’a aucunement motivé sa décision. Il confirme qu’il a toutefois précipité son départ après avoir eu des « discussions intenses » avec l’exécutif concernant le traitement réservé à un cadre. « Il y a eu une situation où je n’étais pas en accord. J’ai préféré partir. »

Un rapport vite enterré

Après la démission du président, Emmanuel Montini a exigé aux membres de l’Association des cadres de supprimer le rapport et de n’en conserver aucune copie. Selon nos informations, il aurait menacé quiconque dévoilerait le contenu du rapport de poursuites judiciaires en diffamation. La peur s’est aussitôt installée parmi les cadres, disent nos sources.

Dans ce contexte, les membres de l’Association des cadres du Cégep ont fini par se dissocier par écrit du document payé par la section locale.

L’ex-président de l’Association des cadres du Cégep de Saint-Hyacinthe, Daniel Ross, a refusé de répondre aux questions du COURRIER.

Une situation qui se répète

À l’été 2021, quand il a pris connaissance du contenu du rapport commandé par les cadres à la firme externe, ce n’était toutefois pas la première fois que l’ex-président René Vincelette était confronté au climat de travail tendu entre les cadres et la direction générale.

Avant la pandémie, celui qui occupe un poste de directeur des ressources humaines au sein d’une grande entreprise de Saint-Pie se souvient avoir rencontré une vingtaine de membres du personnel, dont des cadres, des enseignants et des employés de soutien.

« J’ai été mis au courant de situations particulières. J’ai pris en note les propos. Cela a été amené au comité exécutif et à M. Montini. […] La direction a été mise au courant. Il y a eu des discussions, mais je ne peux pas dire ce que M. Montini a fait ou dit par la suite. »

M. Vincelette parle d’un malaise généralisé. « Une chose est évidente, la vision de la direction générale ne semble pas bien comprise par le reste du personnel. Elle ne semble pas bien communiquée et véhiculée. Les gens me parlent d’un malaise, mais je ne peux pas dire à quelle hauteur se situe ce malaise. […] Dans toute entreprise, l’important, c’est d’avoir une vision et d’être capable de partager cette vision pour ultimement créer un engagement chez les employés », souligne celui qui est membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.

Les portes tournantes

Depuis la nomination de M. Montini à la direction générale du Cégep de Saint-Hyacinthe en mai 2018 pour un mandat initial de cinq ans, LE COURRIER a répertorié 30 départs de cadres, dont près de la moitié cumulait plus de 10 ans d’ancienneté au collège.

« Ce n’est pas pire qu’ailleurs, souligne Augustin Brais. Je peux vous assurer que le collège n’est pas plus problématique qu’ailleurs. C’est sûr que lorsqu’un cadre s’en va, c’est déstabilisant pour toute la communauté. Le collège a encore une bonne attractivité auprès de ces professionnels-là. Le marché de l’emploi est très problématique, mais ce n’est pas la faute du directeur général qui est un bon directeur général. Il a toute notre confiance. Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles les cadres sont partis. On ne s’en formalise pas. »

En janvier 2022, soit environ 16 mois avant la fin du premier mandat d’Emmanuel Montini, le conseil d’administration a annoncé le renouvellement de son contrat pour une période de cinq ans. Effectif prochainement, ce renouvellement a été décidé à huis clos au conseil d’administration. L’ex-président du CA a été étonné par la rapidité avec laquelle la décision de renouveler le mandat du DG a été annoncée. « Ça laisse présumer qu’il y avait un sentiment d’urgence ou quelque chose de particulier, considère aujourd’hui René Vincelette. Je ne sais pas si M. Montini avait menacé de démissionner ou s’il voulait plutôt profiter d’un vote de confiance et d’un mandat fort afin de poursuivre son œuvre. Une chose est certaine, la situation actuelle au cégep me désole profondément. »

Le directeur général Emmanuel Montini a décliné notre demande d’entrevue.

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