Au premier trimestre de 2024, le Québec dépassait, en pourcentage, la Californie au chapitre des ventes de véhicules électriques. Au Canada, 99 % des véhicules rechargeables se trouvent dans trois provinces, et près de la moitié est au Québec. Notre région n’y est pas étrangère alors qu’en 2023, Saint-Hyacinthe était officiellement la première ville au Québec quant au nombre de véhicules électriques par mille habitants.
Il n’est guère surprenant que l’électrification des transports semble inscrite dans notre imaginaire collectif. Si la création d’Hydro-Québec, référent identitaire inégalé, remonte au gouvernement d’Adélard Godbout en 1963 (le Maskoutain T.-D. Bouchard en fut le premier dirigeant), c’est bien en 1962 que notre société d’État a connu son expansion. Le gouvernement de Jean Lesage, dont le ministre emblématique des Richesses naturelles était René Lévesque, est parvenu grâce à une élection référendaire sous le slogan « Maintenant ou jamais. Maîtres chez nous » à nationaliser l’ensemble des ressources hydroélectriques. Loin de ne relever que du gros bon sens économique, l’entreprise de grande envergure arborait des couleurs résolument nationalistes : il s’agissait, pour la nation québécoise, de reprendre ses ressources des mains des compagnies privées anglophones.
Le « Maîtres chez nous » est aujourd’hui toujours d’actualité et embrasse de nouveaux défis.
Un défi continental
L’électrification des transports représente l’un de nos plus importants défis à court terme. Celui-ci relève tout autant de la question de l’environnement que de celle de la sécurité énergétique nordaméricaine. Le Canada et les États-Unis ont conclu il y a peu de temps un accord sur les minéraux critiques et les batteries afin de faire bloc face à la Chine, qui se positionne avec férocité et rapidité. On connaît par ailleurs la propension du régime chinois à se livrer à des pratiques d’espionnage industriel, dont plusieurs cas sont documentés.
L’Amérique du Nord a tout intérêt à sortir de la dépendance à l’Asie, alors que 96 % des batteries sont fabriquées en Chine, au Japon et en Corée. Sur les 140 usines de batteries lithium-ion prévues d’ici 2030, 100 se trouveront en Chine. Le Québec affiche sa volonté de développer un véritable écosystème de la batterie électrique. Mais nous ne pourrons pas y arriver tout seuls, et la construction d’une chaîne d’approvisionnement nord-américain est la véritable voie à suivre. Les tarifs récemment annoncés sur les véhicules électriques chinois sont souhaitables (et ont obtenu l’appui du Bloc québécois), car ils devraient à terme imposer aux constructeurs automobiles de ramener leurs activités en Amérique du Nord, mais insuffisants.
Alors qu’une nouvelle présidence, fraîchement élue, entrera bientôt en fonction à Washington, Ottawa aura à multiplier les démarches auprès des officiels américains pour leur faire comprendre que l’électrification n’est pas qu’une question environnementale, mais en est une de sécurité géopolitique pour l’Amérique du Nord.
Les politiques du gouvernement américain qui réservent une part considérable des contrats publics aux seules entreprises américaines (Buy American et Buy America) ferment malheureusement la porte à plusieurs PME innovantes. Le Québec en compte un nombre significatif, notamment dans le domaine des autobus et des camions entièrement électriques. Même son de cloche quant à l’Inflation Reduction Act, qui réserve les incitatifs aux batteries électriques construites uniquement sur le territoire américain. Ce protectionnisme américain, même s’il est légitime qu’il vise un retour des industries sur son territoire, affaiblit le Québec et le Canada et contribue à renforcer la Chine. Tel est d’ailleurs mon message lorsque je rencontre des élus américains lors de mes missions parlementaires à Washington.
Peut-on faire confiance à Ottawa?
Le hic, c’est qu’Ottawa est un État pétrolier. Le Canada détient les troisièmes réserves de pétrole du monde, et disposerait de réserves de 172 milliards de barils de pétrole extractible, dont 166 milliards se trouveraient dans les sables bitumineux albertains. Le Canada est le quatrième producteur et exportateur en importance de pétrole dans le monde. On n’a qu’à constater à quel point les projets de transport et d’extraction occupent l’actualité depuis plusieurs années. Le Québec, et plus particulièrement le fleuve Saint-Laurent, est devenu un élément central de la géopolitique pétrolière canadienne. Or, l’État québécois n’a aucune juridiction sur les voies fluviales, maritimes, ferroviaires et aériennes qui traversent son territoire si celles-ci ne s’y trouvent pas exclusivement. Tout cela alors que les scientifiques s’entendent sur le fait que 80 % du pétrole doit rester sous terre si nous voulons adopter une posture écoresponsable. Qui plus est, 96 % du pétrole canadien est issu des sables bitumineux, indiquant que la part qui n’en est pas issue est marginale. Le pétrole extrait des sables bitumineux est parmi les plus polluants au monde.
Le secteur canadien de l’extraction du pétrole et du gaz engrange des profits records. En 2022 seulement, on estime ces profits à 270 milliards $. Des milliards de dollars qui se sont retrouvés dans les poches de grandes corporations dont 70 % des actionnaires sont étrangers. Il fallait bien entendu compter sur la pétromonarchie d’Ottawa pour leur offrir des garanties princières, en subventionnant grassement, à coup de milliards de dollars, cette industrie qui n’en a nullement besoin.
Il est donc clair que la transition énergétique serait beaucoup plus possible dans un pays nommé Québec qu’au sein d’un État pétrolier nommé Canada. Nous serons alors, véritablement et sur tous les plans, maîtres chez nous.
Simon-Pierre Savard-Tremblay, député de Saint-Hyacinthe–Bagot et porte-parole du Bloc québécois en commerce international