Une « guerre de clochers »
Les années qui suivent l’opposition des Maskoutains à l’« Étude d’assainissement des eaux usées de la région de Saint-Hyacinthe » sont marquées par un conflit entre Saint-Hyacinthe et Saint-Hyacinthe-le-Confesseur.
Le sujet du litige porte sur l’emplacement de la future usine d’épuration régionale des eaux usées. Notons que l’étude propose trois sites de construction. Le choix privilégié par la firme d’ingénieurs-conseils Lemieux, Royer, Donaldson, Fields et Associés se situe sur le territoire de Saint-Hyacinthe-le-Confesseur, entre la rivière Yamaska et le Chemin Rapide-Plat Sud, bordé par l’autoroute 20. Le deuxième et le troisième site, bordés également par l’autoroute 20, se retrouvent plutôt sur le territoire maskoutain. Ils se font face l’un et l’autre sur chacune des rives de la Yamaska. On peut voir sur le plan que la ville prévoit à cette époque prolonger le boulevard Casavant de l’autre côté de la rivière Yamaska.
Les premiers moments de la confrontation surviennent en 1974, lorsque la municipalité de Saint-Hyacinthe demande à sa voisine de protéger le territoire nécessaire à l’établissement du poste d’épuration, étant donné qu’une habitation vient d’y être construite. En protégeant le territoire, Saint-Hyacinthe-le-Confesseur empêcherait un développement domiciliaire qui rendrait impossible la construction de l’usine d’épuration sur le site recommandé.
Cependant, cette dernière conseille plutôt à Saint-Hyacinthe de trouver, dans les limites de son territoire, l’endroit propice à l’établissement du poste d’épuration. Le maire de Saint-Hyacinthe, Grégoire Girard, surpris de ce refus, écrit aux autorités de Saint-Hyacinthe-le-Confesseur pour leur expliquer qu’il est important que le coût de l’opération ne soit pas « […] majoré par des expropriations dispendieuses qu’il est encore possible d’éviter à ce moment-ci ».
En février 1975, les craintes du maire se réalisent alors que le directeur des Services de protection de l’environnement, Gilles Jolicoeur, recommande le déplacement du site prévu pour l’épuration des eaux du côté sud de l’autoroute 20, soit au second site proposé par l’étude des ingénieurs-conseils. Également, M. Jolicoeur demande aux autorités maskoutaines d’acquérir un terrain de 46 âcres, sur le site numéro 2, pour la construction éventuelle de l’usine d’épuration. M. Jolicoeur justifie ce changement par des modifications qui ont été apportées au site numéro 1 depuis la rédaction du rapport.
Selon lui, le site numéro 1 nécessite trop d’expropriations, contrairement au site numéro 2 qui est disponible. En plus, il spécifie que l’implantation d’une usine d’épuration sur ce deuxième site ne nuirait pas à la vocation industrielle que projette de mettre en place la municipalité de Saint-Hyacinthe dans ce secteur. Selon M. Jolicoeur, la municipalité maskoutaine possède déjà trois parcs industriels d’une superficie totale de 2 028,5 âcres, occupés à 13 %. Il conclut donc que les 46 âcres consacrés à l’usine d’épuration ne limiteront pas la croissance industrielle.
Cette situation ne fait pas l’affaire des autorités maskoutaines, car celles-ci revendiquent le fait qu’il n’appartient pas uniquement à Saint-Hyacinthe de supporter un tel projet de dimension régionale : « […] auquel manque actuellement une collaboration évidente de certaines autres municipalités concernées ». C’est ainsi que Saint-Hyacinthe s’objecte vigoureusement au choix du site numéro 2.
Vers la fin des années 1970, le second choix doit à son tour être laissé de côté, lorsque le gouvernement québécois dépose son projet de loi 90 portant sur la protection des terres agricoles. Cette mesure limite les plans de développement industriel et résidentiel prévus par les autorités maskoutaines sur le territoire entourant le site numéro 2. Au début des années 1980, les travaux de construction de l’usine d’épuration sont entamés près de l’espace du site numéro 3, soit sur son emplacement actuel. C’est finalement en 1987 que l’usine entre en fonction.
Tout compte fait, à travers l’histoire de la rivière Yamaska, et plus précisément à travers celle de sa pollution, il est possible de constater la profonde interrelation qui existe entre ville et rivière. Les longs processus par lesquels s’opèrent la mise en place d’infrastructures urbaines, tels que les réseaux d’aqueduc et d’égouts, ajoutés aux conflits engendrés par la présence de contaminants menaçant la santé publique, sont formateurs de cette interrelation. La Yamaska d’aujourd’hui est évidemment loin d’être ce qu’elle était avant l’arrivée de Jacques-Hyacinthe-Simon Delorme vers 1760, mais il est inconcevable de revenir à cet état de « nature sauvage », puisque ville et rivière sont trop entremêlées pour que les deux puissent exister indépendamment l’une de l’autre. De façon plus générale, cette interrelation, mise de l’avant tout au long de la présente série d’articles, nous permet de mieux saisir le rôle de l’Histoire dans notre société, soit d’éclairer notre façon de connaître et de comprendre les réalités passées, actuelles et futures.