Depuis la publication du texte « Fatouche Barber Shop ouvre ses portes au centre-ville » dans l’édition du COURRIER du 19 novembre 2020, au moins trois citoyens ont écrit au journal pour dénoncer ce qu’ils voient comme un manque de respect au « fait français » du Québec et de Saint-Hyacinthe.
En voici quelques extraits : « Depuis quelque temps, nous nous désolons que Montréal s’anglicise de plus en plus […] et voilà qu’à Saint-Hyacinthe, la ville la plus française d’Amérique, nous nous retrouvons avec des devantures d’affaires en anglais… alors j’ai mon voyage », a notamment écrit Pierrette Desgranges, soulignant qu’elle « souhaite de tout cœur que ce soit la dernière fois que nous acceptons cette blessure à notre fierté ».
De son côté, Yvon Pesant se questionne à savoir si les propriétaires de cette entreprise sont « comme bien d’autres jeunes Québécois qui, tristement, pensent qu’il faut à tout prix une enseigne d’affaires à consonance anglaise pour réussir dans leur secteur d’activités », avouant qu’il aurait préféré voir « salon de barbier » dans le nom de la jeune entreprise maskoutaine. « Et, tant qu’à y être, la Ville de Saint-Hyacinthe […] ne pourrait-elle pas se donner une politique plus respectueuse du fait français québécois quand il est question d’accorder des subventions à des entrepreneurs désireux de s’installer sur son territoire? »
« Le français fout l’camp! », écrit quant à elle Lorraine Fleury, rappelant que « la Charte de la langue française prévoit que l’affichage public et la publicité commerciale au Québec doivent être en français ». À cela s’ajoutent plusieurs commentaires sur la publication Facebook de Saint-Hyacinthe Technopole, remettant en question le choix du terme « barber shop » pour le nouveau commerce situé en plein cœur du centre-ville maskoutain.
Un combat toujours d’actualité
Invité à commenter, Robert Marquette, le président de la Société Saint-Jean-Baptiste Richelieu/Yamaska (SSJBRY), organisme notamment voué à la protection du français dans la région, a avoué avoir sursauté en voyant apparaître le nom Fatouche Barber Shop. « Ça n’a pas de bon sens de voir ça dans une ville à 98 % francophone comme Saint-Hyacinthe. C’est plus fréquent de voir ce genre de choses à Montréal, mais il ne faut pas connaître le marché ou vouloir provoquer pour choisir un tel nom ici. »
M. Marquette soutient qu’il est important de ne pas faire un « retour en arrière » en laissant passer l’« anglicisation à petite dose » dans l’affichage des commerces. « Nos ancêtres se sont battus pour garder notre langue et on doit encore se battre tous les jours pour la protéger, c’est une question de fierté. Je suis certain que ce n’est pas de la mauvaise foi de leur part, alors on va écrire aux propriétaires pour les convaincre de changer le nom. »
Robert Marquette assure toutefois que les commentaires et les lettres ouvertes n’ont pas été coordonnés par la SSJBRY puisque l’annonce de l’ouverture du Fatouche Barber Shop ne s’est pas rendue aux oreilles des membres du conseil d’administration qu’après leur dernière rencontre. « On n’en a pas parlé au dernier CA, mais c’est sûr qu’on va en parler à celui de décembre et on va inviter les gens de Saint-Hyacinthe à se mobiliser pour faire savoir qu’ici, on dit “salon de coiffure”. »
L’OQLF joue de prudence
Les détracteurs du nom Fatouche Barber Shop misent sur les dispositions de la Charte de la langue française sur l’affichage public et la publicité commerciale puisque la loi prévoit que « [l]’affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français. Ils peuvent également être faits à la fois en français et dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante ». Or, selon nos observations, aucune mention du terme générique en français n’apparaît sur la devanture du commerce, alors que « Barber Shop » est bien en évidence sur le logo.
Pourtant, l’Office québécois de la langue française (OQLF), chargé de faire appliquer la Charte, se fait prudent sur la question. « Il est permis qu’une expression tirée d’une autre langue que le français apparaisse dans le nom d’une entreprise si elle est accompagnée d’un générique en français. Par exemple, une entreprise pourrait afficher Boutique “expression dans une autre langue” », indique sa porte-parole Chantal Bouchard, ne souhaitant pas commenter ce cas précis tant qu’un inspecteur ne s’est pas rendu sur place.
« L’Office fera les vérifications nécessaires et pourrait demander, le cas échéant, des corrections à l’entreprise », indique-t-elle, sans pouvoir donner d’échéancier précis avant qu’un inspecteur puisse se rendre sur place. « Ça va dépendre des disponibilités des inspecteurs et s’ils ont à se déplacer pour d’autres dossiers dans la même région. » Elle admet également que les inspections de l’OQLF ne sont « pas une urgence en temps de pandémie ».
Mme Bouchard n’a pas précisé si des plaintes formelles avaient été reçues par l’OQLF concernant l’affichage du Fatouche Barber Shop, mais elle invite tous ceux qui se sentent lésés dans leurs droits linguistiques à le faire. « C’est la meilleure façon de manifester leurs inquiétudes », conclut-elle. Pour sa part, la SSJBRY a déjà manifesté son intention de déposer prochainement une plainte formelle à l’OQLF.
Les propriétaires surpris
Les copropriétaires du Fatouche Barber Shop, Ahmad Aly et Nicolas Dagher-Rodrigue, n’avaient pas vu venir une telle controverse lorsqu’ils ont ouvert leur entreprise au cours des derniers mois. Pour eux, le terme « barber shop » est entré dans l’usage et ils ne sentent pas que leur clientèle s’offusque de ce nom puisque le salon est bien occupé au quotidien.
« On a travaillé dans des barber shops à Montréal, à Longueuil et à Belœil et il n’y a jamais eu de problème… Mais à Saint-Hyacinthe, il y en a un? », a lancé Ahmad Aly, comprenant mal pourquoi sa jeune entreprise se retrouvait au centre d’un tel débat. Il assure qu’à aucun moment la Ville et Saint-Hyacinthe Technopole, qui ont aidé Fatouche Barber Shop à voir le jour, n’ont soulevé de question quant à son nom. Et même s’il a vu les différents commentaires et qu’il a été mis au courant de l’existence de lettres ouvertes concernant l’absence de français dans le nom de son entreprise, il n’avait pas, pour le moment, l’intention de changer son nom.